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mars 11, 2015Good design is good business
A l’occasion de l’exposition Everything is Design : The Work of Paul Rand, le Musée de la ville de New-York nous offre quelques leçons en matière de design et de communication d’entreprise grâce au travail exceptionnel du célèbre graphiste américain.
Nous vivons dans une époque qui sait reconnaître la valeur marchande du design. La recherche le prouve. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Everything is Design : The Work of Paul Rand, une récente exposition au Musée de la Ville de New-York, nous révèle que les sociétés qui investissent dans le design de leur identité doivent beaucoup au travail visionnaire du célèbre graphiste américain.
Paul Rand fut le premier et le seul designer auquel Steve Jobs s’est intéressé. Retraçant sa carrière sur plus de soixante ans (incluant notamment son travail sur la communication d’entreprise pour IBM, UPS et NeXT), l’exposition révèle que Paul Rand n’était pas seulement un designer de talent, mais il était aussi un excellent communiquant, capable de convaincre presque à lui seul une entreprise de l’importance du design pour la réussite de ses affaires. Le graphiste américain Lou Dantziger dira à ce sujet : « N’importe quel designer dans les années 1950 et 1960 savait combien il devait à Rand, qui a largement contribué à l’essor de notre métier. Lui plus que n’importe qui a donné à la profession ses lettres de noblesse. Nous sommes passés du statut d’artistes commerciaux à celui de designers largement grâce à lui. »
Comment Paul Rand a-t-il révolutionné le rôle du designer ?
Voici une petite liste de leçons tirées de son enseignement :
Faites un beau livre illustré expliquant votre travail aux clients
L’une des principales stratégies de Rand pour expliquer à ses clients comment ses designs pouvaient les aider à satisfaire leurs objectifs marketing était de rédiger et illustrer de belles brochures de présentation pour les PDG, qui étaient «en elles-mêmes de véritables œuvres d’art » explique le conservateur Donald Albrecht dans une interview.
« Ces brochures présentaient son design comme quelque chose de naturel et rationnel, résultant d’un choix logique » poursuit-il. « Ce n’était pas une science, mais il montrait le processus intellectuel qui structure et sous-tend chaque design, dans un langage simple, clair et imagé ».
La patience et la clarté des propos de Rand dans sa façon de communiquer avec ses clients a permis aux dirigeants qui n’étaient pas familiers avec le design et la communication visuelle de comprendre les enjeux et l’importance de l’aspect esthétique de leurs produits et de leur communication d’entreprise.
Orientez votre travail dans un style artistique contemporain, même pour la communication d’entreprise
Le travail de pionnier de Paul Rand dans le design publicitaire au début des années 40 a contribué à changer la façon dont les entreprises envisageaient leur image de marque. « Il était très révolutionnaire dans l’industrie de la publicité » explique Albrecht. Rand savait que l’objectif d’une entreprise était de vendre un produit, mais il était certain que pour traduire visuellement ce message, un designer devait avoir une vision artistique. Il fut l’un des premiers à dire « Je peux prendre les idées de Picasso, Jean Arp, Miro, et appliquer les principes fondamentaux des beaux-arts au design des objets quotidiens et aux publicités » poursuit Albrecht. « En conséquence, il a véritablement élevé le secteur de la publicité. Les gens pouvaient regarder une publicité et vivre une expérience esthétique. » Et les entreprises le savent aujourd’hui : une publicité réussie est synonyme de réussite en affaires.
Rand a aussi aidé les directeurs artistiques a gagner plus de pouvoir au sein des entreprises. « Avant l’ère de Rand, le concepteur-rédacteur était roi. » explique Albrecht. Le concepteur-rédacteur rédigeait sa copie en premier, puis le designer l’illustrait. Rand, pour qui le design résultait d’une fusion entre le beau et l’utile, préférait l’idée d’une fusion entre le texte et l’image. Lors de la conception d’une campagne de publicité pour Volkswagen dans les années 60, il a réussi à convaincre la compagnie que cette fusion devait être faite par leur directeur artistique et non par le concepteur-rédacteur. Son approche créative de la typographie dans la publicité – admirez la façon dont les lettres dansent autour des jambes du mannequin Jacqueline Cochran dans cette publicité de 1943 – a un héritage très fort aujourd’hui. De nos jours, il est très rare de voir une publicité qui soit seulement une illustration clouée sur une légende fade et sans consistance.
Ne proposez pas quelque chose de trop radical dès le départ
C’est la clé du succès de la communication d’entreprise de Paul Rand pour IBM dans les années 50, qui a motivé les compagnies suivantes à investir sur le design dans leur stratégie de communication. Quand Thomas Watson Jr a repris IBM en 1956, il a été frappé par la façon dont l’entreprise avait mal géré son image de marque. Leur identité visuelle était incohérente sur de nombreux points. Par exemple, les différents sites de l’entreprise n’utilisaient pas tous la même papéterie suivant leur zone géographique. Inspiré par une visite chez Olivetti Showroom, qui bénéficiait alors d’une image de marque cohérente et moderne dans sa conception artistique (à travers ses magasins, brochures, publicités, équipement), Watson Jr a lancé le Programme de Design d’entreprise (Corporate Design Program). « Watson Jr fut l’un des premiers à dire qu’un design de qualité est bon pour les affaires poursuit Albrecht. « Good design is good business ».
Dirigé par le consultant en design Eliot Noyes, ancien du Musée d’Art Moderne de New York, le programme a finalement embauché Charles et Ray Eames pour réaliser les livres et les expositions d’IBM, l’architecte Errol Saarinen pour la conception des bâtiments, et Paul Rand pour le design des nouveaux logos et de l’image de marque. A l’époque, cette vision de la communication visuelle cohérente à travers tous les vecteurs de communication était très en avance en terme de stratégie d’entreprise.
Fondamentalement, Rand n’a pas transformé radicalement l’ancien logo d’IBM, mais a opéré un nouveau départ stratégique. « Il a conçu une version moderne de l’ancien logo » explique Albrecht. Les caractères gras et épais symbolisaient la modernité par leur minimalisme. « Une fois qu’ils avaient accepté le nouveau logo de Rand, et qu’il avait réussi à se faire une place dans l’entreprise, il a commencé à le modifier. » Il faudra attendre 1962 pour voir apparaître les rayures violettes et noires. Il ne proposait jamais quelque chose de trop radical dès le premier jour. Bientôt, le pouvoir d’IBM a convaincu d’autres entreprises de suivre la voie. A la fin des années 50, Westinghouse voulait être comme IBM, ABC voulait être comme IBM, Cummins voulait être comme IBM… Et Rand était devenu « le mec d’IBM » poursuit-il. Si bien que ces entreprises embauchèrent Rand peu de temps après.
Ne soyez pas prétentieux
Dans les années 80, l’efficacité du programme de communication visuelle d’IBM a convaincu Steve Jobs, un admirateur de longue date du travail de Paul Rand, d’embaucher le jeune designer pour NeXT, sa société d’informatique. « Rand était le premier et le seul designer vers lequel Steve Jobs s’est tourné », dit Albrecht. L’une des raisons qui explique le succès de Rand avec ses clients, en dehors de la beauté de son travail visuel, est le fait qu’il était « l’un d’eux ». « Il n’arrivait pas dans les conseils d’administration comme un artiste. Il était très terre-à-terre, et s’intégrait parfaitement avec les gars de Brooklyn qui constituaient le milieu de la publicité d’entreprise New-Yorkaise ».
“Dans un sens, ce que Apple fait aujourd’hui en terme de design est ce qu’IBM faisait dans les années 50” résume Albrecht. « C’est une question de simplification et de cohésion à travers l’ensemble de l’identité visuelle de la marque : produits, publicité, magasins. Il y a beaucoup d’idées modernes qui ont vu le jour grâce au travail de Rand pour IBM. » Aujourd’hui, Apple est peut-être la seule entreprise au monde dont le succès repose pour beaucoup sur son image de marque. « Tout le monde connait les produits d’Apple, mais beaucoup de personnes ne savent pas la longue histoire qui se cache derrière ce type de communication visuelle ». Et l’inestimable contribution de Paul Rand à son histoire.
Everything is Design : The Work of Paul Rand, exposition actuellement au Musée de la Ville de New York. Du 25 février au 19 juillet 2015.
Via FastCoDesign